samedi 25 février 2012

DETERMINISME, LIBRE ARBITRE ET GRÂCE. épisode 2.

Voir ici un premier épisode sur ce thème. On peut consulter ici l'épisode 3 centré sur la philosophie spirituelle de Sri Aurobindo.


Maurice Merleau-Ponty dans sa Phénoménologie de la perception a tenté de superposer l'approche déterministe avec une approche centrée sur le libre arbitre :

Qu’est-ce donc que la liberté? Naître, c’est à la fois naître du monde et naître au monde. Le monde est déjà constitué, mais aussi jamais complètement constitué. Sous le premier rapport, nous sommes sollicités, sous le second nous sommes ouverts à une infinité de possibles. Mais cette analyse est encore abstraite, car nous existons sous les deux rapports à la fois. Il n’y a donc jamais déterminisme et jamais choix absolu, jamais je ne suis chose et jamais conscience nue. En particulier, même nos initiatives, même les situations que nous avons choisies nous portent, une fois assumées, comme par une grâce d’état. La généralité du ’’rôle’’ et de la situation vient au secours de la décision, et, dans cet échange entre la situation et celui qui l’assume, il est impossible de délimiter la ’’part de la situation’’ et la ’’part de liberté’’. On torture un homme pour le faire parler? S’il refuse de donner les noms et les adresses qu’on veut lui arracher, ce n’est pas par une décision solitaire et sans appuis ; il se sentait encore avec ses camarades, et, encore engagé dans la lutte commune, il était comme incapable de parler ; ou bien, depuis des mois ou des années, il a affronté en pensée cette épreuve et misé toute sa vie sur elle ; ou enfin, il veut prouver en la surmontant ce qu’il a toujours pensé et dit de la liberté. Ces motifs n’annulent pas la liberté, ils font du moins qu’elle ne soit pas sans étais dans l’être. Ce n’est pas finalement une conscience nue qui résiste a la douleur, mais le prisonnier avec ses camarades ou avec ceux qu’il aime et sous le regard de qui il vit, ou enfin la conscience avec sa solitude orgueilleusement voulue, c’est à dire encore un certain mode du Mit-Sein.
Merleau-Ponty considère que le déterminisme fait de l'individu une chose et que le libre arbitre fait de nous une forme de conscience nue (ou pure) en marge du monde. Le déterminisme fait de nous un objet de la nature qui obéit aux lois de la nature. La théorie du libre-arbitre suppose que nous ayons la capacité d'être indifférent à tout, que que nous soyons une conscience individuelle capable de nous désidentifier de tout y compris de notre personnalité. Le déterminisme dans l'esprit de Merleau-Ponty est un matérialisme niant toute vie intérieure propre et la réduisant à un effet secondaire des phénomènes matériels. Les théories du libre-arbitre, elles, sont des théories d'un esprit libre de tout conditionnement matériel. Il défend l'idée que nous sommes de la chair : par la chair, nous appartenons au monde et obéissons à ses lois, mais nous ne sommes pas non plus du monde par l'intériorité qu'elle suscite, nous sommes au monde, avec un espace intérieur gros d'un ensemble de possibles. Pour lui ces deux aspects sont en jeu dans notre essence charnelle et ils se superposent. La culture sociale, le produit du Mit-sein, l'être-avec, induit cette superposition de la nature déterministe et de l'intériorité individuelle.

On se rapproche du quadrant de Ken Wilber. D'ailleurs il y a une filiation des conceptions de Wilber qui passe par Franscisco Varela qui fût un lecteur attentif de Merleau-Ponty :
Cliquer sur l'image pour voir en détail.
Le concept de chair de Merleau-Ponty correspond assez bien au quadrant supérieur droite et gauche : la chair a une dimension intérieure pour laquelle l'arrachement aux conditions déterminantes prend sens autant qu'une dimension extérieure où le matérialisme demeure une explication pertinente.

Cependant l'analyse de Merleau-Ponty ou une lecture rapide du quadrant de Wilber négligent toutes deux en arrière plan la Vie absolue (voir notre épisode 1) de la conscience.

Douglas Harding nous propose cette représentation de nous-même :

Fidèlement à ce que dit Merleau-Ponty et une certaine lecture de Ken Wilber, il semble que l'extrême conscience nue, une Vie absolue sans forme, un JE SUIS RIEN se superpose avec la Vie du tout, un JE SUIS TOUT. Mais la superposition des deux points de vue s'inscrit d'abord au sein de la conscience nue insondable, d'une vacuité sans forme d'où les formes émergent ou encore d'une conscience non-manifestée inconnaissable, un JE SUIS MYSTERE.
Bien entendu au niveau de la vie simplement individuelle, cette superposition l'emporte. Souvent ce dépassement dans l’émergence mystérieuse de la conscience n'a pas de sens pour l'individu. Cependant cet ordinaire ne relève-t-il pas d'un endormissement ou d'un engourdissement de la conscience évolutive ? Fondamentalement l'individu n'existe que sur ce fond de Vie nue mystérieux indiscernable de l'évolution de la Vie du Tout : le JE SUIS MYSTERE est la clé de toute évolution. Il faut donc comprendre la quadrant de Wilber ainsi :

L'individu est donc au cœur d'un champ d'interaction  de ces deux extrêmes qui ne font qu'un. Par la grâce de la Vie, se réalise un JE SUIS libérant l'individu ou/et se réalise un JE SUIS TOUT dont l'individu n'est qu'une autodétermination. Mystère de la grâce qui rappelle l'individu à son essence et à laquelle l'individu répond ou non, mystère de l'essence se réalisant à travers l'individu. Au-delà de la superposition ordinaire du libre-arbitre et du déterminisme, la spiritualité intégrale qui prend au sérieux l'évolution de la conscience, nous propose une forme de liberté personnelle par participation de plus en plus consciente à l'évolution créatrice. Le mystère du JE SUIS auto-créateur rend concevable une telle participation personnelle.

Mon humanité n'est qu'une frange du tout que "JE SUIS" en tant que Vie absolue. Mon humanité est constamment la conséquence d'un ensemble de facteurs déterminants du tout : si la Vie, le JE SUIS est conscient, je ressens une autodétermination individualisée de la Vie elle-même. Mais paradoxalement la personne peut exprimer quelque chose de JE SUIS RIEN qui ne se réduit à aucune détermination inhérente au tout : elle ne se sent attachée en JE SUIS à aucune autodétermination d'elle-même même si elle doit reconnaître que la plupart du temps elle n'exprime que de la mécanicité biologique, psychologique et sociale.

Mais cette liberté relative au déterminisme se superpose à une liberté qui échappe à tout enchaînement de cause à effet. Quelque chose d'inédit peut-il se manifester par le biais de la désidentification ? La Vie S'auto-crée-t-elle changeant ainsi de plan de détermination ? Le quadrant de Wilber suggère cela. On le peut le réinterpréter dans cette direction. 
Voici dès lors comment situer la manifestation d'une évolution créatrice du tout à partir de JE SUIS :
Toutefois si la liberté créatrice laisse à l'évidence un véritable espace de liberté individuelle (dans le cadre supérieur gauche du quadrant), elle ne peut être étrangère à une évolution au sein de la matière et à des mouvements universaux. Les êtres les plus libres ont d'ailleurs marqué l'histoire de l'humanité et impulsé un tournant à son organisation sociale et culturelle. Certains innovateurs ont contribué aussi à contourner les lois de l'univers existantes (nouvelles particules, nouvelles molécules, améliorations de l’espérance de vie, etc.), ces innovations laissent soupçonner une forme de vie dont l'évolution n'est plus déterminée par l'extérieur, mais de plus en plus exprimée consciemment de l'intérieur.

Mais reste une question. Si l'individu exprime quelque chose déjà inscrit au sein de la Vie que ce soit comme autodétermination du Tout ou comme nouvelle perspective entraînant une nouvelle structuration du Tout, rien de fondamentalement neuf n'existe. Tout est alors présent virtuellement soit comme conséquence d'un enchaînement mécanique de la Vie soit comme futur possible inscrit dans le non manifesté de la Vie. Le terme de création n'est-il pas surfait ? N'est-ce pas la Vie qui prend conscience d'elle-même suivant divers trajets qui forment des individualisations et des évolutions de l'univers grâce à une ignorance dépassée, un voile retiré ?
Le mystère reste encore le dernier mot pour l'individu. Par le biais de la conscience individuelle l'absolu s'est fait mystère pour lui-même... 

On peut consulter ici l'épisode 3 centré sur la philosophie spirituelle de Sri Aurobindo. Il donne des éclairages pratiques essentiels à de débat entre philosophies spirituelles.

On pourra aussi consulter un certain nombre d'articles sur ce thème sur Carnet philosophique.


vendredi 24 février 2012

DETERMINISME, GRÂCE ET LIBERTE. épisode 1.

Le déterminisme présente un intérêt spirituel indéniable : au final ce qui réalise que mon individualité est déterminé est  Cela qui me fait être et me détermine. Prendre conscience de ce qui détermine revient à réaliser Cela qui s'autodétermine sous la forme de cette individualité. Personne ne s'éveille : ce n'est que Cela qui se réveille malgré ou au travers une personnalité.

Mais cette réalisation de Cela qui s'effectue par un effort au sein d'une individualité pose la question de l'effort de cette individualité. Comment la lumière de Cela qui anime l'individualité au point de ne plus être connue dans l'individualité que comme lumière de l'individualité peut-elle surmonter cette identification et se réaliser comme lumière de Cela ?

La position déterministe permet de mieux comprendre la nature de l'illusion qui nous empêche d'adhérer pleinement à la Vie : nous nous croyons un individu qui fait ce qu'il veut niant ainsi que c'est la Vie qui s'autodétermine à travers nous. Grâce à cette approche, nous entrevoyons pourquoi nos intentions et nos actes s'entrechoquent mais aussi pourquoi plus nous refusons ce qui est plus nous nous sentons un individu séparé du monde et des autres. Cette approche permet aussi de défaire l'illusion qu'il y aurait à croire que l'éveil à Cela peut être gagner par nos seuls efforts individuels. Mais cette position déterministe laisse fort mystérieuse le retournement de l'effort individuel en non effort actif de la Vie. Enfin elle semble comme relativiser la conversion individuelle vers une recherche spirituelle : celle-ci n'aurait lieu qu'à l'aune de Cela.

Cependant d'autres faits pratiques nous font envisager une autre approche comme nécessaire. L'éveil de Cela n'est étrangement pas forcément constant : l'individu reprend le devant de la scène oublieux de Cela. Ou bien la mécanique de l'individu s'effectue devant Cela dans un sens où la présence de Cela semble s'amenuiser. Parfois l'individu qui reprend les devants va se glorifier de l'éveil de Cela et entonner que personne ne s'éveille mentant dès lors effrontément.

Une autre approche est possible qui reprend les avantages du déterminisme tout en confrontant l'individualité à son pouvoir de faire pâlir ou favoriser la présence de Cela. Il s'agit d'envisager une forme d'absolu divin tout puissant qui serait à notre racine, à la racine même de notre liberté individuelle. Réaliser Cela par le biais du déterminisme, dans cette nouvelle approche qui veut intégrer cette plus ou moins forte présence de Cela se traduirait par le fait que notre volonté individuelle se soumettrait plus ou moins à la volonté de l'absolu divin. Mais cette approche pourrait volontiers affirmer que la Vie de notre individualité en son fond est la Vie même de cet absolu divin. Un autre ensemble de points que cette nouvelle approche pourrait intégrer est la question de l'effort individuel, de la conversion relativement au fait que Cela ou la Vie en son fond ne fait pas d'effort pour agir ou que c'est cette Vie même qui se réalise au tréfonds de l'individualité comme l'essence de toute chose. Les concepts à introduire serait la liberté de la volonté individuelle et la grâce de l'absolu qui guide et éclaire cette liberté de la volonté individuelle pour qu'elle voit en son fond la Vie qui l'anime.

Il y a une grâce essentielle (une grâce suffisante) qui est l'essence même de la liberté individuelle, c'est la Vie même de l'absolu qui engendre en son fond la liberté individuelle. Et il y a une grâce efficace qui en aval intervient dans l'exercice de cette liberté individuelle.  

Le mystère persiste. Avec le déterminisme, le mystère était entre l'effort individuel et la réalisation de l'illusion de tout effort individuel, ici avec la grâce et le libre-arbitre, le mystère se déplace : comment est possible une liberté individuelle dont la vie individuelle n'est qu'une dérivation d'une Vie absolue qui est la Vie même ?

A vrai dire le mystère du déterminisme qu'est la totale illusion de l'individualité séparée est l'envers du mystère qu'engendre la position de la liberté et de la grâce à savoir l'existence d'une individualité essentielle.

Quand le déterminisme se lézarde dans sa profondeur spirituelle, il devient du fatalisme : je ne pouvais pas faire autrement dira y compris celui qui pourtant un jour a vu la Vie se réaliser à travers lui. 

Quand la position de la grâce et du libre arbitre perd sa force spirituelle qui vise l'humilité, il y a une affirmation de la seule liberté individuelle: c'est là l'illusion que précisément dénonce le déterminisme. Pire il y a le recours à la foi en la grâce sans plus chercher à en réaliser la Vie divine : c'est le piège de la religion qui perd de vue toute spiritualité et proclame le mystère pour ne pas adorer Cela en vérité. Là encore le déterminisme a la vertu de dénoncer une religion qui proclame des miracles invisibles et qui au fond humilie la raison.

Si notre approche conceptuelle est d'abord au service d'une authenticité spirituelle, il faut peut-être envisager une utilisation de ces deux approches que sont le déterminisme d'une part et la position de la grâce et du libre arbitre de l'autre.

 A suivre et à approfondir en cliquant ici.

mardi 7 février 2012

TOUTES LES CIVILISATIONS SE VALENT-ELLES ?


En première personne tout m'exprime y compris cette personne qui exprime son communautarisme identitaire qu'il soit Musulman soi-disant anti-occidental, qu'il soit chrétien évangéliste ou qu'il soit lié à la France Occidentale.
En première personne mon premier geste est d'accueillir toutes les personnes y compris mes propres réflexes identitaires. En première personne toutes les civilisations se valent donc au sens où toutes les identités expriment ce que je suis et d'ailleurs je n'ignore pas intellectuellement que toutes les identités culturelles ont laissé en leur sein un espace à la prise de conscience de la première personne. Le meilleur de la culture française et occidentale a pour moi à voir avec la reconnaissance de cette source de tout ce qui est  et le meilleur de la culture musulmane a à voir avec cela aussi. Tout mode de vie est le fruit d'une intuition créatrice qui a trouvé un chemin d'adaptation et de création dans une situation donnée. Il y a donc en toute civilisation un noyau qui porte la trace de cette inspiration initiale. Le nazisme, le fascisme ou le communisme n'ont jamais formé une civilisation quelconque, ce sont des aberrations de notre civilisation occidentale. Mais au fond aujourd'hui un certain communautarisme musulman s'apparente au fascisme et un certain évangélisme rampant dans nos banlieues en est proche. Qu'on compare l'évangéliste, le musulman fondamentaliste, intégriste et anti-occidental de nos cités et notre bon français fasciné par le fascisme, ils sont sont en fait très proches. C'est là un seul et même problème politique qui met en jeu l'accueil de l'autre et le sens du dialogue (le deux qui fait consciemment un en première personne). Si la réalisation de la première personne est assez éloigné de la plupart et que sa présence dans les textes restent souvent ésotériques, les valeurs de l'accueil et de l'hospitalité, elles, sont clairement au centre du fondement de nos civilisations. On trouve clairement la trace de ces valeurs dans les textes fondateurs (qu'ils soient religieux ou philosophiques) de nos civilisations occidentales judéo-chrétiennes et arabo-turco-musulmanes  !!!  Ce n'est que sur ces valeurs communes que nous pourrons édifier une nouvelle civilisation qui ne nie pas l'identité racine de ses membres.

Seule la mentalité postmoderne dotée d'un relativisme fort permet de traiter nos identités sous un mode ludique et créatif. Le relativisme vulgaire affirme une égalité pour ne pas au final interroger ses propres crispations identitaires. Le relativisme fort affirme que les identités ont une même valeur mais quand elles savent leur relativité. Sans cette connaissance intime de la relativité de notre identité, aucune création n'est possible, il n'y a que des crispations, des adaptations négatives, etc. jusqu'à la dissolution. Le relativisme fort peut donc devenir un chemin d'accès à la conscience auto-créatrice en première personne. Car à vrai dire on peut être en première personne mais croire en la vérité de notre identité qui nous permet cette connaissance. On ne laisse pas alors la première personne déployer totalement sa spontanéité créatrice. Comment toucher le cœur de ce communautariste sans cette spontanéité ? Ce ne sont pas des arguments qui le toucheront, un ego vaincu est humilié et précisément tout communautariste se renforce dans sa crispation en s'affirmant victime d'une humiliation de ceux qui n'appartiennent pas à sa communauté. Si nous devons penser une éducation républicaine pour un élève baignant dans le communautarisme, nous devons lui donner le chemin au sein de sa propre identité pour atteindre la relativisation de son identité. Toutes les identités se valent : elles ne sont que relatives. Seul le cœur n'est pas relatif au cœur de notre identité ! Quand l'identité étouffe le cœur, alors c'est le début de l'horreur !!!

Les expressions culturelles des civilisations ne se valent pas mais en leur fond chaque civilisation contient un chemin d'accès à la conscience créatrice, au cœur créateur. Affirmer seulement sans davantage de précision que les civilisations ne se valent pas est un propos polysémique imprécis qui ne fait que confirmer notre musulman intégriste dans sa croyance, même si électoralement c'est le plus souvent un évident appel du pied au néo-fasciste franco-français.

Dire que les expressions culturelles des civilisations ne se valent pas mais qu'en leur fond chaque civilisation contient un chemin d'accès à la conscience créatrice est la seule position précise qui permet le dialogue et l'évolution qui peuvent manifester dans nos cultures la conscience en première personne et plus encore la lumière du cœur. Pour combattre l'obscurantisme communautariste qu'il soit musulman, évangéliste ou franco-français, c'est le dialogue qui doit rester l'idéal politique même s'il faut sanctionner et lutter activement contre ce qui s'y oppose.

Un républicain authentique ne doit pas se sentir menacer davantage par le communautarisme musulman que par le communautarisme français parce que au fond en poids électoral le communautarisme français aujourd'hui menace peut-être davantage la république.