mercredi 20 mars 2013

ESPACE ET MEDITATION selon Jacques Vigne, Fénelon et Sri Aurobindo.

Jacques Vigne, dans Ouvrir nos canaux d'énergie par la méditation écrit dès les premières lignes de son introduction :

Les chercheurs en neurosciences ont montré que l'expérience de méditation profonde est liée à une stimulation du centre permettant de percevoir l'espace pur et à une inhibition de celui des obstacles. De fait, avant même ces découvertes, il suffisait déjà de lire la littérature spirituelle pour s'apercevoir qu'une des comparaisons les plus fréquentes pour évoquer les grandes expériences spirituelles était celle de l'espace sans limite ni compartimentations.


Par exemple, dans son Traité de l'existence de Dieu, Fénelon insiste sur l'immensité inclue dans la lumière divine et déconstruit toutes nos compartimentations pour nous permettre de la reconnaître dans son évidence :
C'est donc à la lumière de Dieu que je vois tout ce qui peut être vu.

Mais quelle différence entre cette lumière et celle qui me paraît éclairer les corps ! C'est un jour sans nuage et sans ombre,sans nuit, et dont les rayons ne s'affaiblissent par aucune distance. C'est une lumière qui n'éclaire pas seulement les yeux ouverts et sains, elle ouvre, elle purifie, elle forme les yeux qui doivent être dignes de la voir. Elle ne se répand pas seulement sur les objets pour les rendre visibles; elle fait qu'ils sont vrais, et hors d'elle rien n'est véritable; car c'est elle qui fait tout ce qu'elle montre. Elle est tout ensemble lumière et vérité; car la vérité universelle n'a pas besoin de rayons empruntés pour luire. Il ne faut point la chercher, cette lumière en dehors de soi : chacun trouve en soi-même ; elle est la même pour tous. Elle découvre également toute chose ; elle se montre à la fois à tous les hommes dans tous les coins de l'univers. Elle met au dedans de nous ce qui est dans la distance la plus éloignée ; elle nous fait juger de ce qui est au-delà des mers, dans les extrémités de la terre, par ce qui est au dedans de nous. Elle n'est point nous-mêmes ; elle n'est point à nous ; elle est infiniment au-dessus de nous : cependant elle nous est si familière et si intime, que nous la trouvons aussi près de nous que nous-mêmes. Nous nous accoutumons même à supposer, faute de réflexion, qu'elle n'est rien distingué de nous. Elle nous réconcilie souvent avec nous-mêmes : jamais elle ne tarit ; jamais elle ne nous trompe ; et nous ne nous trompons que faute  de la consulter assez attentivement, ou en décidant avec impatience quand elle ne décide pas.
Ô vérité, ô lumière, tous ne voient que par vous ; mais peu vous voient et vous reconnaissent ! On ne voit tous les objets de la nature que par vous ; et on doute si vous êtes !



Ceci fait écho à ce qu'écrit Sri Aurobindo dans La Synthèse des yogas, tome 2, éditions Buchet-Chastel, p.133 qui montre davantage un processus de divinisation en jeu  :
L'Esprit, le Divin s'est manifesté en tant qu'Être infini étendu en lui-même, existant en lui-même, pur, libre du Temps et de l'Espace comme des images de sa conscience. Il est plus que toutes les choses et cependant les contient toutes en l'étendue de son être et de sa conscience ; Il n'est lié par rien de ce qu'Il crée, contient ou devient - Il est libre et infini, toute béatitude. En fait cette image du Brahman éthéré [âkâsha selon la philosophie sâmkhya[..]] peut être d'une grande aide pratique pour le sâdhak qui trouverait difficile difficile de méditer sur ce qui, tout d'abord, lui semble une idée abstraite et insaissable. Avec l'image de l'éther (non pas l'éther physique, mais un vaste éther d'être, de conscience et de béatitude qui embrasse tout), il peut chercher à voir par l'intellect et à sentir en son être mental cette existence suprême et à identifier celle-ci unitivement au moi qui est en lui. 
On notera une petite nuance que Jacques Vigne ne donnait pas : cette fusion dans l'espace infini perçu comme l'Esprit ouvre à sa dimension alocale et atemporelle. 

Sri Aurobindo poursuit :
Cette sorte de méditation peut mettre le mental dans un état favorable de prédisposition où, par une déchirure ou un retrait du voile, la vision supramentale pourra inonder la mentalité et changer complétement toute notre vision. Une fois ce changement de vision opéré et à mesure qu'il grandit en puissance et en insistance et qu'il occupe toute notre conscience, il se produit finalement un changement dans notre devenir, si bien que nous devenons ce que nous voyons. Dans la conscience de notre moi, nous ne serons pas tant cosmiques qu'ultra-cosmiques, infinis. Dès lors, le mental, la vie et le corps seront seulement des mouvements dans l'infini que nous sommes devenus, et nous verrons que ce qui existe n'est pas du tout le monde, mais seulement cet infini de l'Esprit en lequel se meuvent les grandioses harmonies des images de Son Devenir conscient.

vendredi 15 mars 2013

LE DON DE SOI A LA VIE DIVINE EVOLUTIVE EST VOIR MAIS AUSSI REFUS ET ASPIRATION.

La spiritualité orientale inspirée du bouddhisme, de Prajnanpad ou de l'advaïta, par exemple, nous a beaucoup habitués à songer qu'il ne faut pas faire d'effort sinon pour ne plus en faire comme quand on se relaxe et qu'on s'élargit laissant couler en nous tous les phénomènes.

L'attitude qui cherche à Voir plus qu'à juger et penser est juste.

Mais élargir notre attention pour retrouver le champ de conscience en amont des phénomènes qui nous libère ainsi de tout attachement à l'un d'entre eux interdit-il de refuser à l'occasion certains phénomènes pour y accéder plus radicalement et peut-être plus profondément ?

Se refuser efficacement à une pensée, à un désir ou à une émotion ne consiste pas bien sûr à lutter contre eux en opposant une autre pensée, un autre désir. Ce seraient encore les vieilles recettes du changement que tout le monde connaît. Parfois elles sont bien utiles et on ne vient à la nécessité authentique de la recherche spirituelle que parce qu'on les sent peu satisfaisantes les ayant pratiquées suffisamment pour le voir. 

Refuser efficacement une pensée, un désir ou une émotion va consister à se concentrer vers là où ils n'ont pas prise c'est-à-dire vers le champ de conscience pure et de là les rejeter c'est-à-dire empêcher le mouvement de conscience ordinaire qui veut nous ré-identifier mécaniquement à eux. Plus simplement et plus profondément le Refus est efficace s'il est dirigé vers un don de soi à la vie divine.

Quand on envisage la libération que du seul point de vue déterministe, on nous demande de comprendre nos attachements, de Voir la mécanique enfin que ce qui est en nous déjà libre se réalise. On insiste sur le fait qu'il ne s'agit ni de refuser l'émotion ni de la justifier mais de la laisser s'épanouir dans une ouverture compréhensive. Mais dans toutes les formes de complaisances égocentriques, de victimisations, de désirs vains qui comme l'addiction aux nouvelles technologies réduisent notre créativité en nous distrayant par des gratifications sans but, cette méthode du Voir n'a-t-elle pas des chances de s'enliser ? Un alcoolique peut-il s'en sortir sans un sevrage fondé sur des techniques de refus d'un mouvement de conscience mécanique ordinaire ?
Si le Refus est fondé sur la concentration vers notre liberté intérieure c'est-à-dire sur la dimension individuelle de notre ouverture intérieure naturelle à tous les phénomènes, il a toutes les chances d'opérer. Il y aurait là conjoint au Voir qui comprend les déterminations un mouvement de choix de se laisser prendre aux déterminations mécaniques ou de s'en détacher en les rejetant pour aller vers plus de lumière spirituelle.

On peut ainsi s'amuser à détruire des pensées comme un enfant fait éclater des bulles : je suis en un sens le Fils du champ de conscience à qui il m'a été donné de régner en priorité sur ce type de phénomène. La liberté semble dès lors de n'écarter aucune pensée de son champ de tir. Ce genre de refus qui va s'appuyer sur un point de concentration un peu en arrière entre les sourcils peut donner à voir les idées avant qu'elles ne s'expriment en mot. On peut se concentrer sur ce point avant qu'il ne se semble participer à la concentration comme un centre de la conscience. Descartes a-t-il vue dans la glande pinéale le centre où l'âme interagit principalement avec le corps en ayant fait une telle expérience ? Ce centre en arrière entre les sourcils coïncide avec le centre de l'ouverture visuelle du champ de conscience. Le champ de conscience peut ainsi s'ouvrir intérieurement à un monde des idées qui est aussi le monde des intuitions : on les voit flotter autour de nous parfois et on peut les voir s'approcher avant qu'elle ne s'exprime sous formes de pensées verbales ou imaginées.

Il y a donc bien une manière plus violente d'entrer chez soi au royaume des cieux en se concentrant directement là où le champ de conscience est en notre individualité un début de phénomène et déjà une ouverture, là où dimension personnelle et dimension impersonnelle du champ de conscience sont indiscernables.

Un autre point de concentration remarquable outre celui entre les deux yeux correspond encore mieux peut-être à ce point d'équilibre entre notre individualité et notre réalité d'ouverture de conscience impersonnelle : le cœur, non pas le cœur matériel mais un centre de concentration naturelle du champ de conscience au milieu du torse. Dans la détente, il y de l'attention sans effort au champ de conscience il y a une descente par là. On est là dans ce feu du cœur et partout à la fois. Par la concentration la plus détendue possible pour qu'elle gagne en endurance dans cette direction, on atteint non seulement une paix émotionnelle, une souveraineté de plus en plus grande vis-à-vis des désirs qui montent mais aussi une aspiration spirituelle, une soif paradoxalement joyeuse de Cela et de sa manifestation de plus en plus parfaite.
Eros, Génie assoiffé de beauté dans les bras d'Aphrodite, Mère de la beauté.















Trois mouvements participent dès lors à notre progression vers le don de soi à l'évolution divine : VOIR, REFUS et ASPIRATION.

- l'observation compréhensive, le Voir à l'aide de la réalisation du pur témoin neutre qu'est en nous la simple ouverture aux phénomènes (ici les méditations fondées sur la pleine conscience sont utiles);
- le Refus des mécanismes en s'accrochant à notre liberté intérieure et en saisissant la grâce qu'on nous tend à travers elle (ce mouvement peut trouver à s'inspirer des procédés de la dévotion, de la soumission à la volonté divine) ;
- l'Aspiration à plus de vérité, mais aussi plus beauté et donc plus de perfection dans la manifestation (on trouve un témoignage chez Platon, dans la tradition monothéiste qui s'en inspire avec par exemple l'épectase de Grégoire de Nysse).

Voir permet de se détacher de la mécanique. La personnalité appartient à la mécanique, Voir permet l’Éveil à une réalité impersonnelle.
Refuser le mouvement mécanique est d'autant plus efficace qu'on voit. Le Refus met en jeu un Voir car sans Voir le refus ne sera qu'un refoulement. Le Refus met en jeu une dimension personnelle au cœur de l’Éveil spirituel permis par le Voir.
Enfin sans l'Aspiration, le Refus risque de devenir une lutte de l'ego qui oublie de se concentrer pour accueillir la force de la grâce. Sans l'Aspiration, le Voir finit par se mettre au rythme le plus lent du Devenir. Sans Aspiration et Refus, le Voir est un Éveil à une réalité impersonnelle déjà là mais sans transformation autre que celle permettant l'alignement de la personnalité à cette réalité. L’Aspiration révèle en nous un principe d'individualisation par delà la dimension personnelle humaine au cœur de la liberté intérieure : une âme ?